Ethologie et acoustique
Programme sur la reconnaissance vocale individuelle entre les animaux
Presque tous les animaux des Terres Australes et Antarctiques Françaises
vivent en colonies, groupes ou harems, et cela pose un problème de
reconnaissance individuelle. En effet, les parents doivent se reconnaître entre eux et
reconnaître leur petit pour pouvoir l'élever au cours des mois que dure sa croissance
(aucune espèce sur Crozet n'a un type d'élevage communautaire). Or, au sein d'une
colonie de manchots royaux par exemple, l'individu n'a aucun repère visuel (vous avez
dû remarquer que les manchots se ressemblent pas mal entre eux), ni olfactif, ni
topographique puisqu'ils n'ont pas de nid et qu'ils couvent sur leurs pattes. Ainsi ne
reste-t-il qu'un seul moyen de reconnaissance individuelle : leur chant.
Le cas des manchots royaux est bien entendu extrême (et c'est ce qui le rend
intéressant à étudier), mais sur l'île, on trouve tous les cas de figures :
-les manchots royaux n'ont donc qu'un moyen de reconnaissance acoustique.
-les gorfous ont un nid (donc un repère topographique), mais aucun indice olfactif ou
visuel.
-les éléphants de mer et les otaries n'ont pas de repère topographique au sein du
harem, mais des repères olfactifs (comme la majorité des mammifères) et une
reconnaissance vocale.
Ce que le laboratoire de Pierre Jouventin à Montpellier étudie dans le cadre de ce
programme, ce sont justement les différences entre les types de reconnaissances
acoustiques chez les animaux des Terres Australes et Antarctiques Françaises.
Durant l'année 2001, le programme était plus particulièrement axé sur la reconnaissance
acoustique chez les gorfous.
Il était déjà admis que les gorfous avaient une reconnaissance vocale, comme tous les
manchots des Terres Australes et Antarctiques Françaises.
Mais le code de leur chant restait à percer. Etait-ce le rythme de leur chant qui
importait (comme pour les manchots empereurs de Terre Adélie) ? Etait-ce la modulation de fréquence (comme pour les manchots royaux) ? ou encore le timbre
de leur voix (comme pour les humains) ?
Pour le savoir, le protocole était le suivant :
- Enregistrer une cinquantaine d'adultes gorfous différents.
- Mettre ces chants sur ordinateur.
- Modifier un des paramètres des chants à la fois sur un logiciel de modification des
sons.
Exemples de modifications apportées aux chants :
-inversion de sections du chants (« manchot » donnerait « mahotnc » par exemple)
-inversion totale du chant (« manchot » donnerait « tohcnam »)
-suppression d'une partie du chant (seulement « man » ou seulement « chot » par
exemple)
-modification du rythme par insertion de silences
-transposition du chant vers les aigus
-transposition du chant vers les graves
-suppression des aigus
-suppression des graves. . .
- Enfin repasser le son modifié au poussin de l'adulte qu'on avait enregistré et noter sa
réaction : reconnaissance ou non du chant. Si le poussin reconnaît le chant de son
adulte, il se réveille s'il dort, lève la tête, répond au chant de son adulte en piaillant et
parfois même court vers le haut parleur.
Si le poussin reconnaissait le chant, c'est que la modification n'altérait pas la partie
codante du chant.
Si le poussin ne répondait pas au chant modifié (mais répondait au témoin : chant
non modifié) c'est qu'on avait touché à la partie codante du chant.
De cette manière, nous avons mis en évidence que c'était le timbre du chant des
gorfous qui était reconnu par le poussin. Nous avons aussi observé que le poussin
reconnaît un chant plus aigu ou plus grave de 50 Hertz que celui de son parent, mais
que si la modification était plus importante les poussins répondaient de moins en
moins.
Glossaire:
La modulation de fréquence, c'est le changement de fréquence (aigu, grave) au cours
du temps. Lorsque l'on chante la gamme, on module en fréquence.
Le timbre, c'est la répartition de l'intensité sonore sur les différents harmoniques
d'un son.
C'est le timbre de la voix qui nous permet de différencier deux personnes différentes
au téléphone; mais aussi de faire la différence entre un piano et un violoncelle ou une
flute qui jouent la même note.